Il semble plus facile d’accuser les passeurs ou de bafouer le droit d’asile que de reconnaître la gravité d’une crise du logement qui rappelle celle de l’après-guerre.
Militants associatifs, membres du groupe de recherche TRAJECTOIRES
Deux enfants, de 4 ans et de 5 ans, morts dans un incendie à Lille et à Carrières-sur-Seine. Près de 380 migrants à Paris, quatre fois chassés. Près de 2 000 migrants à Calais, harcelés et pourchassés. Des familles expulsées, puis traquées à Lille pour qu’elles ne s’installent nulle part.
Tout cela en une semaine.
Ils ont tous un point commun. Ils vivent dans les interstices de nos villes et de nos campagnes. Vivent-ils dans ce que les médias et les journalistes appellent poliment des «camps», des «campements illicites», des «terrains», des «squats», des «installations», des «friches», des «jungles» ? Non. Ils vivent dans ce qu’il faut nommer des bidonvilles. De tentes, de baraques, de bâches. Des bidonvilles qu’on expulse pour les laisser se reconstruire quelques mètres plus loin. Des bidonvilles que la France a déjà connus, sous d’autres formes, dans les années 50 et 60.
A défaut d’avoir un hébergement, un logement, un toit, on se construit un abri. Pourquoi ne pas l’admettre ? Pourquoi ne pas l’avouer ? Pourquoi ne pas le nommer ? Parce que reconnaître la réapparition des bidonvilles nécessiterait de reconnaître l’ampleur de la crise du logement mais aussi celle de l’hébergement d’urgence. Parce que reconnaître cette ampleur nécessiterait de s’y atteler. Parce qu’il est plus facile d’accuser les passeurs ou les différences culturelles. De bafouer le droit d’asile ou la convention relative aux droits de l’enfant. Il est plus difficile d’oser une véritable stratégie de résorption de ces espaces exclus du droit, où les acteurs institutionnels n’osent pénétrer qu’accompagnées de la police alors que des centaines de riverains, de citoyens, d’associatifs s’y rendent quotidiennement par simple humanité. Pour pallier l’inaction de l’Etat.
Taire, c’est nier. Ne pas être nommé, c’est ne pas exister.
Et, c’est en grande partie cette inexistence politique du bidonville, et donc des réponses apportées, qui mènent aux drames terribles et réguliers de ces derniers jours ; de ces derniers mois ; de ces dernières années. Et des mois prochains. Ces personnes sont là. Beaucoup de leurs enfants vont à l’école avec nos enfants. Elles seront là demain. Il est urgent d’oser. La reconnaissance, aujourd’hui, du bidonville dans sa nouvelle forme est une urgence vitale pour permettre d’engager une réflexion de fond sur les moyens à mettre en place. Pour éviter de nouveaux drames. En mobilisant les différents acteurs et intervenants politiques, associatifs, citoyens, militants, religieux, et les habitants de ces bidonvilles eux-mêmes. En créant les conditions d’une réflexion de fond sur les réponses à apporter à ce phénomène insupportable. Osons dire qu’il y a des bidonvilles en France. Qu’ils sont une émanation de notre incapacité à gérer les phénomènes migratoires, à comprendre les nouvelles formes de précarité, à lutter contre la crise du logement. Mais que rien n’est irrémédiable.